St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle 18181894
292. Midi
M
Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine;
La terre est assoupie en sa robe de feu.
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil;
Pacifiques enfants de la terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.
De sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S’éveille, et va mourir à l’horizon poudreux.
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis! la nature est vide et le soleil consume:
Rien n’est vivant ici, rien n’est triste ou joyeux.
Altéré de l’oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter suprême et morne volupté,
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin;
Et retourne agrave; pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.