St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Théodore de Banville 18231891
310. A Georges Rochegrosse
E
Et, gracieuse, fleurit
Comme une corolle éclose,
Et qui sur ta joue en fleurs
Portes encor les couleurs
Du soleil et de la rose!
Où tu ressembles encor
A toutes les choses belles,
Le vieux poète bénit
Ton enfance, et le doux nid
Où ton âme ouvre ses ailes.
Tu seras grand! souviens-toi
De notre splendeur première.
Dis tout haut les divins noms:
Souviens-toi que nous venons
Du ciel et de la lumière.
De tout fouler sous tes pas
Avec un orgueil barbare,
Non pas d’être un de ces fous
Qui sur l’or ou les gros sous
Fondent leur richesse avare,
Qu’au livre silencieux
Ta prunelle sache lire,
Et que, docile aux chansons,
Ton oreille s’ouvre aux sons
Mystérieux de la lyre!
De ta mère, tu sauras
Qu’ici-bas il faut qu’on vive
Sur une terre d’exil
Où je ne sais quel plomb vil
Retient notre âme captive.
Ah! malheur à l’Exilé
Dont la mémoire flétrie
Ne peut plus se rappeler,
Et qui n’y sait plus parler
La langue de la patrie!
N’est pas perdu pour celui
Qui le veut et le devine,
Et qui, malgré tous nos maux,
Balbutie encor les mots
Dont l’origine est divine.
Garde-le sévère et pur,
Et que ton cœur, toujours digne
De n’être pas reproché,
Ne soit jamais plus taché
Que le plumage d’un cygne!
Cher cœur! et je te le dis
Au moment où nulle fange
Terrestre ne te corrompt,
Pendant que ton petit front
Est encor celui d’un ange.