St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles Baudelaire 1821–†1867
300. Le Balcon
M
Ô toi, tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceaur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!
Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
—Que ton sein m’était doux! que ton cœur m’était bon!
Nous avons dit souvent d’impérissables choses
Les soirs illuminés par l’ardeur du charbon.
Que l’espace est profond! que le cœur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur, ô poison!
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu’en ton cher corps et qu’en ton cœur si doux?
Je sais l’art d’évoquer les minutes heureuses!
Renaîtront-ils d’un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s’être lavés au fond des mers profondes?
—Ô serments! ô parfums! ô baisers infinis!